L'impact des attentes parentales sur le développement des enfants surdoués
Les enfants surdoués font l'objet d'une attention particulière de la part de leurs parents, parfois de leurs enseignants, et conceptuellement de la part du système éducatif dans son ensemble. Cette attention est souvent motivée par un désir sincère d'encourager et de nourrir le potentiel exceptionnel de ces enfants, qui est par certains aspects contradictoires avec une logique d’égalité des chances affichée par l’éducation nationale, et donc qui vise à ne pas favoriser qui que ce soit, mais également de toutes les autres notions du bien penser ou des à prioris sur les surdoués qui circulent dans les salles des professeurs de tous les collèges de France et d’ailleurs, et qui ne sont pas près de s’arrêter compte tenu du niveau de formation dur la question qui leur sont proposés. Je vous renvoie ici à l’article dédié sur le Vademecum. Les parents sont donc soucieux que leurs enfants puissent bénéficier d’un soutien, en lien avec leurs compétences et que le système s’adapte à leur capacités et leur soif de connaissances ou de découverte, tout comme ce que l’institution propose aux élèves les plus en difficultés, quelles que soient leur nature. Ce contexte scolaire et social impacte les parents qui peuvent avoir des attentes d’autant plus élevés, tentés qu’ils sont de « relever le niveau », et cela, d’ailleurs, ne concerne pas que les parents de surdoués ou favorisés, par contre, lorsqu'elles sont excessives ou mal orientées, elles peuvent avoir des répercussions négatives sur le développement de l’enfant.
Cet article tente d’aborder de façon exhaustive, en profondeur, l'impact des attentes parentales sur les enfants surdoués et les autres, en s'appuyant sur une large gamme de recherches académiques, de théories psychologiques y compris sociales, ainsi que sur la recherche empirique, sujet qui m’a été inspiré par la lecture de la thèse de Léa Dousson sur la socialisation des enfants à haut potentiel intellectuel (HPI), qui apporte une vision sociale de la douance qui a le mérite de soulever certaines questions, même si je pense qu’elle n’aborde pas la question dans son ensemble et que ce petit bout de lorgnette de la construction sociale d’un individu est bien insuffisant et ne prends pas en compte l’état des connaissances multiples sur le sujet. Nous explorerons donc comment les attentes parentales influencent la motivation, le bien-être émotionnel, les relations sociales et la réussite scolaire des enfants surdoués.
I. La nature des attentes parentales : Entre soutien et pression
A. Les attentes parentales : une double face
Les parents d'enfants surdoués, conscients des capacités actuelles et potentielles de leurs enfants, ont souvent des attentes élevées quant à leurs performances académiques et à leur développement global, car mis en garde dans une bonne partie de la litérature grand public sur les difficultés qu’ils vont ou peuvent rencontrer. Ces attentes se manifestent de différentes manières : un désir de voir l'enfant exceller dans toutes les matières scolaires, une insistance sur la participation à des activités parascolaires enrichissantes, ou une anticipation de réalisations futures. Léa Dousson souligne dans sa thèse que ces attentes, bien qu'elles puissent être motivées par l'amour et le souci du bien-être de l'enfant, peuvent parfois dépasser les capacités réelles de celui-ci, créant ainsi un fossé entre ce que les parents souhaitent et ce que l'enfant peut réellement accomplir. Oui mais cela n’est-il pas commun à tous les parents des milieux aisés ou cultivés quel que soient le degré d’intelligence définie de l’enfant ?
D'un côté, les attentes parentales peuvent être une source de motivation pour l'enfant, l'encourageant à développer pleinement ses capacités. Miraca Gross, dans son ouvrage Exceptionally Gifted Children (2004), montre que des attentes raisonnables et un soutien adéquat peuvent aider les enfants surdoués à atteindre leur potentiel maximal. Cependant, lorsque ces attentes deviennent irréalistes (je vous renvoie ici sur l’ouvrage de Didier Pleux pour approfondir la question de ce qui rend une attente « irréaliste ») ou trop pressantes, elles peuvent avoir l'effet inverse, entraînant du stress, de l'anxiété, et même une aversion pour les activités y compris scolaires qui étaient autrefois sources de plaisir, sans en être forcément la cause unique, bien évidemment.
B. Les différences culturelles et sociales dans les attentes parentales
Il est également important de noter que les attentes parentales varient considérablement en fonction des contextes culturels et sociaux. Dans certains milieux, l'accent est mis sur la réussite académique comme moyen de mobilité sociale, tandis que dans d'autres, le bien-être émotionnel et l'épanouissement personnel sont valorisés. Des recherches montrent que dans les sociétés occidentales, les parents de classes moyennes et supérieures tendent à avoir des attentes plus élevées pour leurs enfants surdoués, en raison de l'importance accordée à l'excellence académique et aux réalisations individuelle (Lareau, 2003).
Les travaux de Ruby Payne sur les différences culturelles dans l'éducation des enfants montrent que les familles issues de milieux défavorisés peuvent avoir des priorités différentes, mettant davantage l'accent sur les compétences pratiques et la résilience que sur les réalisations académiques (Payne, 2005). Cela peut influencer non seulement la manière dont les attentes sont formulées, mais aussi la manière dont les enfants perçoivent et répondent à ces attentes, les enjeux et leurs effets.
II. Les conséquences des attentes excessives : Entre pression et résilience
A. Le stress et l'anxiété liés aux attentes parentales
Lorsque les attentes parentales sont trop élevées, les enfants surdoués peuvent ressentir une pression constante pour atteindre des niveaux de performance inaccessibles. Cette pression peut se manifester par une peur de l'échec, de décevoir les parents, générer une faible estime de soi, et dans certains cas, des troubles liés à l'anxiété. Léa Dousson note que les enfants surdoués, en raison de leur sensibilité souvent exacerbée, sont particulièrement vulnérables à cette forme de stress (Dousson, 2022).
Des études longitudinales menées par Vialle, Heaven, et Ciarrochi (2007) montrent que les enfants surdoués qui perçoivent les attentes de leurs parents comme irréalistes sont plus susceptibles de développer des troubles anxieux et de montrer des signes de détresse émotionnelle. Ces enfants peuvent également se sentir aliénés de leurs parents, ce qui nuit à leur développement social et émotionnel et même aux relations parents-enfants et altère la confiance. Ces études soulignent l'importance d'une communication claire et bienveillante entre les parents et les enfants, afin de s'assurer que les attentes ne deviennent pas une source de pression destructrice.
B. La résilience face aux attentes parentales
Malgré les risques associés aux attentes élevées, il existe des cas où les enfants surdoués développent une résilience remarquable face à la pression parentale. La résilience, définie comme la capacité à surmonter les défis et à rebondir face aux difficultés, peut être renforcée par un soutien parental adéquat et par la capacité de l'enfant à se forger une identité propre, distincte des attentes parentales (Rutter, 1987).
Les recherches de Gagné et St. Père (2001) suggèrent que le soutien parental doit être adapté aux besoins spécifiques de l'enfant, en tenant compte de ses capacités réelles et de ses intérêts personnels. Les enfants qui bénéficient d'un soutien approprié, combiné à une certaine autonomie dans la poursuite de leurs intérêts, sont plus susceptibles de développer des compétences de résilience qui leur permettront de naviguer avec succès dans les attentes élevées. Bref, un objectif propre, une conscience de ses intérêts et une plus grande autonomie peuvent être les moteurs d’une réussite propre, et pour finir par un brin de publicité non déguisée, cela correspond exactement au type d’accompagnement que je propose.
III. Les attentes parentales et les relations sociales des enfants surdoués
A. L'isolement social et les relations avec les pairs
Les attentes parentales élevées peuvent également avoir un impact sur la nature de la sociabilisation et les relations sociales des enfants surdoués. Dans certains cas, les parents peuvent insister pour que leurs enfants se concentrent sur leurs études ou sur des activités parascolaires au détriment des interactions sociales avec leurs pairs, notamment les activités individuelles. Cela peut conduire à un isolement social, les enfants surdoués ayant moins de temps pour développer des amitiés et participer à des activités sociales normales pour leur âge qui sont d’autant plus importantes pour eux.
Léa Dousson observe que cet isolement social peut être aggravé par le sentiment de différence que ressentent de nombreux enfants surdoués, un sentiment souvent renforcé par les attentes élevées de leurs parents. Les enfants surdoués peuvent se sentir en décalage par rapport à leurs pairs, ce qui peut rendre difficile l'établissement de relations significatives. Ce phénomène est également documenté par Cross et Coleman (2005), qui soulignent que les enfants surdoués ont souvent du mal à trouver des pairs avec lesquels ils peuvent s'identifier ou s’accorder, en raison de leurs centres d’intérêts et de leurs capacités.
Cela dit, établir des relations significatives au sens typique, c’est rester plutôt à la surface, dans des relations convenues et normées voire superficielles, ou l’on change de copain comme de jouet, même entre enfants, alors que les surdoués ont plutôt tendance à rechercher des rapports plus profonds même vers 6 à 7 ans, ou il se rendent déjà compte de l’écart de leurs raisonnements, au-delà de toutes question de résultats scolaires ou d’attentes des parents. Ils peuvent s’étonner du manque de profondeur, de lucidité, ou d’éléments pris en compte dans les raisonnements de leurs petits camarades.
L’isolement social ne peut être ramené à la surstimulation ou aux attentes des parents, cela peut accentuer le problème, mais ne peut en être la source unique.
B. Les attentes parentales et la socialisation au sein de la famille
La socialisation au sein de la famille est un autre domaine où les attentes parentales peuvent avoir un impact significatif. Les parents d'enfants surdoués peuvent avoir des attentes spécifiques concernant les comportements sociaux de leurs enfants, en les encourageant à développer des compétences sociales avancées ou en les poussant à s'intégrer dans des cercles sociaux particuliers. Ces attentes peuvent parfois entrer en conflit avec les préférences personnelles de l'enfant, entraînant des tensions au sein de la famille.
Des chercheurs européens comme Linda Silverman et Hanna David ont étudié l'impact des attentes parentales sur la socialisation des enfants surdoués. Silverman met en garde contre le risque de projeter sur ces enfants des attentes qui ne correspondent pas à leur nature intrinsèque, ce qui peut non seulement nuire à leur développement social, mais aussi à leur bien-être émotionnel. Hanna David, dans ses travaux sur les enfants surdoués en Israël et en Europe, souligne également que l'ajustement des attentes parentales en fonction des besoins individuels de l'enfant est crucial pour leur bien-être global.
IV. Les attentes parentales et la réussite scolaire des enfants surdoués
A. Les attentes parentales comme moteur de la réussite académique
Les attentes parentales peuvent jouer un rôle déterminant dans la réussite scolaire des enfants surdoués. Des attentes élevées, combinées à un soutien adéquat, peuvent motiver les enfants à exceller dans leurs études. Cependant, il est important que ces attentes soient alignées sur les capacités réelles de l'enfant et qu'elles prennent en compte son bien-être global. La surstimulation a été largement documentée ces dernières années, je vous y renvoie.
Des recherches montrent que les enfants surdoués qui bénéficient de la pression parentale et de leur soutien sont souvent ceux qui réussissent le mieux sur le plan académique. Une étude de Freeman (2010) montre que les enfants surdoués dont les parents ont des attentes élevées, mais réalistes, ont tendance à obtenir de meilleurs résultats scolaires que ceux dont les parents ont des attentes trop basses ou irréalistes. Cette étude souligne l'importance d'un soutien parental équilibré, qui encourage l'excellence sans imposer une pression excessive, et cet équilibre a d’ailleurs bien d’autres conséquences positives, sur les relations familiales et le bien-être de l’enfant, notamment.
B. Les effets négatifs des attentes excessives sur la performance scolaire
Lorsque les attentes parentales sont trop élevées ou irréalistes, elles peuvent avoir des effets négatifs sur la performance scolaire des enfants surdoués. Léa Dousson note que certains enfants surdoués, sous pression constante pour performer à un niveau exceptionnel, peuvent parfois développer une aversion pour l'école ou pour les matières dans lesquelles ils sont censés exceller ou ont des facilités.
Une autre étude va dans le même sens, celle de Neihart (2006), révèle que les enfants surdoués qui ressentent une pression excessive de la part de leurs parents sont plus susceptibles de souffrir de burnout académique, une condition caractérisée par une fatigue extrême, une perte de motivation, et une baisse des performances scolaires. Ces enfants peuvent également développer des comportements d'évitement, comme la procrastination ou l'abandon de certaines activités scolaires, pour échapper à la pression parentale.
La clé : un équilibre entre soutien et attentes
L'impact des attentes parentales sur le développement des enfants surdoués est un domaine complexe et multidimensionnel.
D'un côté, les attentes élevées peuvent être une source de motivation et de soutien pour ces enfants, les aidant à réaliser leur potentiel, car pour beaucoup de parents c’est en ces termes que tout se joue, eh oui, car sinon, quel gâchis !
Ce n’est pas toujours évident d’avoir entendu que son enfant avait un grand potentiel et d’accepter qu’il n’en fasse rien, ou du moins, qu’il ne fasse pas un métier dans lequel il puisse s’exprimer dans toute sa dimension.
Et d'un autre côté, lorsque ces attentes deviennent irréalistes ou trop pressantes, elles peuvent entraîner du stress, de l'anxiété, et des difficultés sociales et scolaires, voir une forme déguisée de rébellion.
Pour maximiser les avantages des attentes parentales tout en minimisant leurs risques, il serait essentiel d’après les études, que les parents adoptent une approche équilibrée. Bon somme toute, c’est assez logique. Cela implique d'établir des attentes qui sont alignées sur les capacités réelles de l'enfant, de maintenir une communication ouverte et bienveillante, et de reconnaître l'importance du bien-être émotionnel et social de l'enfant, en lien avec un rapport sain aux échecs académiques. Vous trouverez dans le blog un article en ce sens intitulé : « Enseigner la résilience face aux échecs scolaires ».
En fin de compte, le rôle des parents d'enfants surdoués est-il seulement de guider ces enfants vers l'excellence académique ? L’enjeu n’est-il pas plutôt pour eux, comme pour tous les autres enfants de s’épanouir, de faire ce qu’ils aiment profondément, ont envie de faire et de les aider à développer une identité équilibrée, une résilience émotionnelle, et des relations sociales saines ?
Les parents, en adoptant une approche plus nuancée et compréhensive de leurs propres attentes, peuvent mieux soutenir leurs enfants dans leur parcours unique et complexe. Cette réussite qu’ils désirent mais qu’ils ne devraient peut-être ni projeter ni imposer, mais plutôt aider à faire définir par leur enfant et dont le résultat ne sera visible que des années après.
Références
- Dousson, Léa. Comment façonne-t-on un "surdoué" ? Analyse de la socialisation à l'œuvre dans les familles d'enfants catégorisés à "haut potentiel intellectuel". Thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2, 2022. URL : https://hal.science/tel-04653863
- Gross, Miraca U.M. Exceptionally Gifted Children. London: Routledge, 2004.
- Lareau, Annette. Unequal Childhoods: Class, Race, and Family Life. Berkeley: University of California Press, 2003.
- Payne, Ruby K. A Framework for Understanding Poverty. Highlands: Aha! Process, Inc., 2005.
- Vialle, Wilma, Patrick Heaven, and Joseph Ciarrochi. "The Relationship Between Parental Styles and the Development of Psychological Well-Being in Gifted Children." Journal of Advanced Academics 18, no. 2 (2007): 252-271.
- Gagné, François, and Françoise St. Père. "When Giftedness Meets Social Factors: Towards a General Theory of Talent Development." High Ability Studies 12, no. 2 (2001): 159-177.
- Rutter, Michael. "Resilience in the Face of Adversity: Protective Factors and Resistance to Psychiatric Disorder." British Journal of Psychiatry 147 (1985): 598-611.
- Cross, Tracy L., and Laurence J. Coleman. Being Gifted in School: An Introduction to Development, Guidance, and Teaching. Waco: Prufrock Press, 2005.
- Freeman, Joan. Gifted Lives: What Happens When Gifted Children Grow Up. London: Routledge, 2010.
- Silverman, Linda K. Giftedness 101. New York: Springer Publishing Company, 2013.
- David, Hanna. The Gifted Child in Peer Group Perspective. Berlin: LIT Verlag, 2015.
- Neihart, Maureen. "Gifted Children and Depression." Gifted Education International 22, no. 2 (2006): 148-156.